Si le Premier Mai des travailleurs a suscité de nombreuses études, ce n’est pas le cas de la journée des femmes du 8 mars. Pourtant cette commémoration rituelle, en voie d’extinction, se situe à l’intersection du local, du national et de l’international. Elle peut être qualifiée d’« invention d’une tradition » puisque ses origines sont énigmatiques et diverses selon les pays. En Italie, le récit mythique des origines s’ancre dans la commémoration de la mort en 1908 d’ouvrières au cours de l’incendie d’une usine où un mimosa aurait poussé dans la cour, ce qui expliquerait la présence constante de cette fleur lors du rituel italien du 8 mars. Il est avéré cependant qu’un incendie a eu lieu, non en 1908, mais le 25 mars 1911, dans une fabrique d’habillement à New York (dont les propriétaires avaient fermé les portes pour éviter que les ouvrières ne partent en grève) et que 146 femmes originaires d’Europe orientale et d’Italie sont mortes de ce fait. C’est la socialiste Clara Zetkin qui a proposé en 1907 d’organiser chaque année une journée internationale des femmes pour revendiquer le droit de vote. La date du 8 mars semble – selon l’auteure – avoir été avancée au hasard. La première fut célébrée en Allemagne le 8 mars 1914 (une affiche reproduite dans le livre le prouve). En Russie en 1917, la journée du 8 mars à Pétrograd donna lieu à une importante manifestation de femmes revendiquant du pain et la paix, qui est considérée comme la première journée de la révolution russe (23 février dans le calendrier julien). En Italie, la première célébration du 8 mars a lieu en 1921 à l’initiative du jeune parti communiste italien, qui met en avant l’inertie du vieux parti socialiste sur ce point. Avec l’installation du fascisme au pouvoir (1922-1943), la célébration devint plus ou moins clandestine, forme de résistance des ouvrières. Le régime fasciste mussolinien créa en 1933 une journée dédiée aux mères et aux enfants. Le 8 mars 1945, à l’initiative de l’Union des femmes italiennes (UDI), on célébra, toutes tendances confondues, l’union pour la libération de la patrie. Après l’obtention par les Italiennes du droit de vote en 1946, cette fête avec mimosa devint progressivement un rituel et le témoin de la place prépondérante du PCI (et de ses organisations féminines de masse) comme parti d’opposition à la Démocratie chrétienne au pouvoir. Dans les années 1950, années de la Guerre froide, le mot d’ordre de la paix a été au centre de la journée du 8 mars. La première partie de la décennie est caractérisée par la répression violente des manifestations ouvrières par la police (plusieurs dizaines de morts) et, pour les « amantes de la paix » que sont les femmes, par des arrestations la veille ou le jour du 8 mars pour « occupation de l’espace public ». À la fin des années 1950, l’Italie entre dans la Grande transformation du développement industriel et de la consommation de masse – « le miracle économique italien » – et le journal des femmes syndiquées célèbre le 8 mars 1957 avec ce titre « la révolution dans la cuisine». Le modèle italien est cependant celui de la femme au foyer et le taux (déclaré) d’activité des femmes salariées reste un des plus bas d’Europe jusqu’à la fin des années 1960.

«Un mythe incertain et inoxydable»: le 8 mars en Italie (1910-1958)

GISSI, ALESSANDRA
2011-01-01

Abstract

Si le Premier Mai des travailleurs a suscité de nombreuses études, ce n’est pas le cas de la journée des femmes du 8 mars. Pourtant cette commémoration rituelle, en voie d’extinction, se situe à l’intersection du local, du national et de l’international. Elle peut être qualifiée d’« invention d’une tradition » puisque ses origines sont énigmatiques et diverses selon les pays. En Italie, le récit mythique des origines s’ancre dans la commémoration de la mort en 1908 d’ouvrières au cours de l’incendie d’une usine où un mimosa aurait poussé dans la cour, ce qui expliquerait la présence constante de cette fleur lors du rituel italien du 8 mars. Il est avéré cependant qu’un incendie a eu lieu, non en 1908, mais le 25 mars 1911, dans une fabrique d’habillement à New York (dont les propriétaires avaient fermé les portes pour éviter que les ouvrières ne partent en grève) et que 146 femmes originaires d’Europe orientale et d’Italie sont mortes de ce fait. C’est la socialiste Clara Zetkin qui a proposé en 1907 d’organiser chaque année une journée internationale des femmes pour revendiquer le droit de vote. La date du 8 mars semble – selon l’auteure – avoir été avancée au hasard. La première fut célébrée en Allemagne le 8 mars 1914 (une affiche reproduite dans le livre le prouve). En Russie en 1917, la journée du 8 mars à Pétrograd donna lieu à une importante manifestation de femmes revendiquant du pain et la paix, qui est considérée comme la première journée de la révolution russe (23 février dans le calendrier julien). En Italie, la première célébration du 8 mars a lieu en 1921 à l’initiative du jeune parti communiste italien, qui met en avant l’inertie du vieux parti socialiste sur ce point. Avec l’installation du fascisme au pouvoir (1922-1943), la célébration devint plus ou moins clandestine, forme de résistance des ouvrières. Le régime fasciste mussolinien créa en 1933 une journée dédiée aux mères et aux enfants. Le 8 mars 1945, à l’initiative de l’Union des femmes italiennes (UDI), on célébra, toutes tendances confondues, l’union pour la libération de la patrie. Après l’obtention par les Italiennes du droit de vote en 1946, cette fête avec mimosa devint progressivement un rituel et le témoin de la place prépondérante du PCI (et de ses organisations féminines de masse) comme parti d’opposition à la Démocratie chrétienne au pouvoir. Dans les années 1950, années de la Guerre froide, le mot d’ordre de la paix a été au centre de la journée du 8 mars. La première partie de la décennie est caractérisée par la répression violente des manifestations ouvrières par la police (plusieurs dizaines de morts) et, pour les « amantes de la paix » que sont les femmes, par des arrestations la veille ou le jour du 8 mars pour « occupation de l’espace public ». À la fin des années 1950, l’Italie entre dans la Grande transformation du développement industriel et de la consommation de masse – « le miracle économique italien » – et le journal des femmes syndiquées célèbre le 8 mars 1957 avec ce titre « la révolution dans la cuisine». Le modèle italien est cependant celui de la femme au foyer et le taux (déclaré) d’activité des femmes salariées reste un des plus bas d’Europe jusqu’à la fin des années 1960.
2011
9782840161004
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